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LE PRINCE DEVENU FEMME (Tanzanie)

Il y avait autrefois un roi qui se nommait Bwoogi et comme beaucoup de rois, en ce temps-là, il avait plusieurs femmes.

Un jour, sa première femme met au monde un petit garçon. Celui-ci arrive dans la vie, les poings bien fermés. Dans l'une, il tient du grain et dans l'autre deux baguettes de tambour. C'est le signe qu'il sera un jour l'héritier du royaume. On le nomme Kalemeela. Une vieille nourrice prend soin du jeune prince depuis sa naissance. Elle veille sur lui, nuit et jour. Elle l'élève avec amour et le protège de la jalousie de ses demi-frères. Il ne voit que très rarement sa mère.

Le roi, quant à lui, vaque à ses occupations de roi. Il reçoit quotidiennement les hommes et les présents de ses sujets. Les uns lui offrent du bois sec, les autres de la bière, d'autres encore de l'herbe sèche. Quand il voit une jeune fille qui est à son goût, il envoie un émissaire offrir du bétail à sa famille et il le charge de préparer la noce.

Le roi épouse toutes celles qu'il désire.

Les jours, les mois, les ans passent et Kalemeela grandit jusqu'à devenir un beau jeune homme. Il est aimable avec tout le monde, il trouve toujours la parole qui fait plaisir, le geste agréable. Jamais il ne manque de respect à quiconque.

Un jour, Kalemeela voit une jeune fille belle à souhait et il en tombe follement amoureux. Elle s'appelle Kyanyiamateite. Il faut dire qu'elle est la grâce personnifiée et qu'elle porte un amour immense au jeune prince.

La nourrice les observe discrètement et tente de faciliter leur rencontres amoureuses.

Un jour, un groupe de jeunes filles se présente à la cour du roi. Elles lui offrent de l'herbe sèche, elles dansent et chantent pour le réjouir. Le roi remarque la grande beauté de l'une d'entre elles ; il n'en détache plus son regard. Dès qu'elle est repartie, il envoie son homme de confiance chez sa famille pour la demander en mariage. Il apprend de la bouche de son conseiller qu'elle s'appelle Kyanyiamateite. Le soir même, la jeune fille est amenée dans les appartements du roi pour devenir sa femme.

Quand Kalemeela apprend la nouvelle, quand il découvre que son père vient d'épouser la jeune fille qu'il aime, il sombre dans un désespoir immense. Il lui est impossible de s'opposer aux desseins de son père, il lui est impossible d'ooublier Kyanyiamateite. Il en perd le sommeil et l'appétit de la vie.

Un jour, le roi doit s'absenter du palais pour plusieurs semaines, il doit visiter son royaume.

À peine est-il parti que Kalemeela fait semblant d'être malade. Il garde le lit et refuse de boire et de manger. Sa nourrice use de toutes les ruses pour le nourrir, mais en vain. Elle lui présente les mets qu'il préfère, elle lui propose des plats appétissants mais rien n'y fait. Il refuse obstinément de s'alimenter. Le jeune prince s'affaiblit de jour en jour et son état est de plus en plus alarmant. La nourrice finit par le supplier en pleurant :

_ Que puis-je te donner afin que tu acceptes de manger ? Que désires-tu ?

Il répond : _ Je veux revoir Kyanyiamateite.

Elle le savait. De peur de l'exposer à la colère de son père de le tente de le raisonner : _ C'est la femme de ton père maintenant. Tu ne peux plus la désirer. Tu risques ta vie.

Il ne cède pas. Il ne veut rien entendre : _ Si je ne la revois pas, je me laisserai mourir.

La nourrice l'aime plus que tout au monde. Elle est prête à tout pour ne pas le perdre. Discrètement , elle arrange une rencontre dans la chambre de Kyanyiamateite. Quand les deux jeunes gens se retrouvent, leur bonheur n'a pas de limites. Ils mangent, ils boivent, ils discutent dans une joie intense et, quand la nuit tombe, ils dorment ensemble. Ils ne se quittent plus jusqu'au retour du roi.

Quand le roi revient au palais, une grande fête est célébrée pour l'accueillir. Une fête qui dure plusieurs jours. Certaines femmes du palais avaient observé les allées et venues du prince dans les appartements de Kyanyiamateite. L'une d'entre elles décide d'en informer le roi et, pour ce faire, elle compose une chanson qu'elle chante pendant que la cérémonie d'accueil bat son plein. Sa voix couvre le son des tambours. Le roi écoute attentivement les paroles de sa chanson et il entend clairement tout ce qu'elle dit :

Kalemeela, fils de Bwoogi, Ils t'ont offert des bananes et de la viande, Tu as refusé de manger. Ils t'ont offert du jus de banane bien sucré, Tu as refusé de boire. Ils t'ont demandé : « Que désires-tu ? » Tu as répondu : « Je veux dormis. » Ils t'ont demandé ; « Avec qui veux-tu dormir ? » Tu as répondu : « Avec ma Kyanyiamateite. » Ainsi tes vœux ont été exaucés, Kalemeela, fils de Bwoogi, Ainsi ont été exaucés tes vœux.

Le roi n'en croit pas ses oreilles. Il fait appeler la chanteuse à ses côtés et lui demande :

_ Que chantais-tu ? Je n'ai pas bien compris. Raconte-moi ce que tu as vu pendant mon absence.

_ Mon roi, j'ai vu le prince Kalemeela dormir dans le lit de Kyanyiamateite.

_ Je ne comprends pas.

Et la femme d'expliquer : _ Ton fils a dormi avec ta dernière épouse, Kyanyiamateite.

Le roi, fou de rage, appelle ses conseillers, ses soldats, son fils et sa nourrice et devant eux il proclame : _ Je condamne à mort mon fils Kalemeela ainsi que sa nourrice qui est sa complice, pour le déshonneur qu'ils ont jeté sur mon royaume. Soldats, vous les emmènerez dans la forêt pour les mettre à mort mais avant que vous ne partiez je dois faire ce que j'ai à faire.

Devant toute l'assemblée réunie, le roi ampute le sexe de Kalemeela. Le jeune homme mutilé est envoyé avec sa nourrice au fin fond de la forêt pour y être exécuté. Ils sont escortés par les soldats du roi.

Quand le cortège macabre arrive au lieu même ou l'exécution doit avoir lieu, les soldats s'approchent de Kalemeela et lui disent : _ Tu as toujours été aimable et généreux avec nous. Tu n'as jamais fait de mal à personne et nous ne pouvons pas te tuer. Nous savons que nous risquons nos vies en désobéissant aux ordres du roi mais nous prenons le risque. Toi, promets-nous que tu t'en iras loin avec ta nourrice et que tu ne reviendras plus jamais.

_ Je promets, répond le prince.

Les soldats abandonnent le jeune homme et la nourrice dans la forêt et regagnent le palais. Ils informent le roi que ces ordres ont été exécutés : « Ton fils et sa nourrice sont morts »

Kalemeela se met à marcher dans la forêt avec sa nourrice. Elle lui fait mettre des vêtements de jeune fille. Il remercie cent fois le ciel d'être encore en vie et se souvient du proverbe qui dit : « Il vaut mieux être haï par le roi que par son peuple ». Ils traversent la forêt sombre et dense. Ils marchent des jours et des jours sans savoir où ils vont. A force de marcher, ils finissent par arriver de l'autre côté de la forêt. Ils continuent d'avancer jusqu'au moment où ils rencontrent un berger. L'homme leur demande d'où ils viennent et les deux femmes répondent d'une seule voix :

_ Nous ne savons pas d'où nous venons, Nous ne savons pas où nous allons. Nous errons sans but et nous avons faim. Pourrais-tu nous indiquer un lieu où nous pourrons trouver à manger ?

Le berger les emmène chez son roi, car ils sont arrivés, sans le savoir, sur les terres d'un autre royaume. Le roi les accueille généreusement, il leur offre à manger et à boire et leur donne un lopin de terre à cultiver.

Le roi regarde les deux femmes s'éloigner quand son fils aîné vient le rejoindre : _ Père, la jeune fille qui vient de partir est très belle. Depuis des années, tu souhaites me voir prendre femme et c'est la première fois que je rencontre une jeune fille à mon goût. Je veux l'épouser.

_ Je ferai de mon mieux pour que les noces soient célébrées au plus tôt.

Quand Kalemeela apprend l'amour que le prince lui porte, quand il sait que celui-ci veut l'épouser, il est saisi de peur. Il demande conseil à sa nourrice : _ Qu'allons-nous faire ? Tu sais que je suis un homme.

_ Accepte ce mariage et advienne que pourra. Quand tu seras marié, tu diras toute la vérité à ton époux et tu verras comment il réagira.

Quelques jours plus tard, la noce est célébrée en grande pompe. La nuit même, Kalemeela avoue à son compagnon sa véritable identité : _ Mon vêtement cache un secret dont ma propre vie dépend.

Le prince, nouveau marié, écoute, il comprend et se réjouit de vivre avec un prince comme lui. Il promet de garder le secret et de rester fidèle à son nouveau compagnon.

Mais il y a toujours un jour dans les histoires… Deux vieilles femmes veulent voir de près la femme de leur prince. Comme elles n'ont pas accès à ses appartements privés, elles regardent par le trou de la serrure de son cabinet de toilette. Quelle surprise ! Elles voient la jeune femme debout avec un sexe mutilé d'homme. A peine ont-elles découvert la véritable identité de la nouvelle princesse qu'elles se précipitent chez le roi pour l'en informer :

_ Roi, ta bru est un homme !

Et avec beaucoup de zèle, elles décrivent au roi tous les détails de l'anatomie de la princesse. Le roi en est abasourdi. Une abomination qui pourrait réduire à néant son pouvoir, son honneur, sa famille et son royaume. Il veut en avoir le cœur net mais il ne peut pas dévêtir sa propre bru pour la regarder de près. Il réunit ses conseillers et leur présente la situation. Il les somme de garder le secret et de trouver un moyen pour sauver son honneur.

_ Comment savoir si ce sont les vieilles femmes qui fabulent ou si mon fils a réellement épousé un homme ? Si mon fils est marié avec un homme, je le ferai mettre à mort ainsi que la fausse mariée et sa nourrice.

Les conseillers réfléchissent toute la nuit et, au petit matin, ils trouvent une solution. Le roi fait battre les tambours et annonce à tout son peuple la nouvelle : « Demain, tous les citoyens, jeunes et vieux, hommes et femmes, doivent se présenter nus sur les rives du fleuve. Il traverseront le fleuve à la nage. »

Les nouveaux mariés entendent la nouvelle et ne savent pas comment échapper à la colère du souverain. Kalemeela, affolé, va trouver sa nourrice : _ Si je ne me présente pas au bord du fleuve demain, ils sauront qui je suis et ils me tueront et, si je me présente, ils verront ma nudité et je mourrai aussi.

_ Ne t'inquiète pas mon fils, j'y ai déjà pensé. J'ai ce qu'il faut, demain matin tu seras une femme. Allez vous amuser tous les deux et ne vous faites aucun souci.

Cette nuit, pendant que tout le monde dort, la nourrice allonge Kalemeela sur le dos et applique des onguents sur la partie mutilée de son corps et sur sa poitrine. Il dort ainsi toute la nuit et, à son réveil, il se regarde : à la place de son sexe mutilé il a un superbe pubis de femme et sur sa poitrine deux seins se dressent fièrement. Il se précipite auprès de son compagnon pour lui annoncer la nouvelle. Leur joie n'a pas de limites, ils rient aux éclats et s'embrassent joyeusement. Ils sont sauvés.

Le lendemain matin, les tambours annoncent le rassemblement sur la rive du fleuve. Le peuple, au grand complet, se présente. Tous sans exception, jeunes et vieux, femmes et hommes. Le roi s'adresse à eux : _ Une abomination s'est abattue sur mon palais. Vous allez tous vous déshabiller et traverser le fleuve à la nage. Quand vous aurez terminé je vous dirai la raison de tout ceci.

Tous ceux qui sont là commencent à se déshabiller. La nourrice de Kalemeela s'approche du roi et lui dit : _ Seigneur, je voudrais que ta bru traverse le fleuve en premier car depuis son réveil elle n'a rien mangé. Aussi il serait souhaitable qu'elle traverse le fleuve tout de suite afin que je la ramène chez elle pour la servir.

Le roi s'empresse d'accepter ; il attend impatiemment ce moment.

Le prince, ou la princesse tremble de la tête aux pieds. La nourrice l'encourage : _Ôte tes vêtements, le peuple te regarde.

Elle, Il a le courage de retirer tous ces vêtements. La jeune femme est enfin nue. Elle entre dans l'eau. Nage un peu. Toutes les parties de son corps sont visibles. Le roi et ses conseillers l'observent, ils détournent la tête et se regardent gênés. La nourrice jubile. Quand la princesse arrive au milieu du fleuve, la nourrice l'appelle et lui demande de faire demi-tour. La nourrice se précipite et la recouvre d'un tissu. Les tambours résonnent et le peuple se met à danser.

Les conseillers somment le roi de réparer la honte d'avoir vu sa belle-fille nue. Ils noient dans le fleuve les vieilles commères qui avaient jeté l’opprobre sur le couple princier. Ils sacrifient un taureau pour laver l'honneur de la famille royale et le partage avec le peuple.

Les noces sont célébrées une deuxième fois. Les festivités durent sept jours. C'est ainsi que Kalemeela devient bel et bien la belle-fille du roi.

Quand le roi est mort, le prince est devenu roi à sa place. Kalemeela est devenue reine. Ensemble ils ont eu un fils et une fille.

(La magie de la nourrice était si forte que Kalemeela est restée femme jusqu'à la fin de sa vie.)

Tout ce que nous voyons n'est pas bon à dire. À chacun de faire son bonheur comme il l'entend.

Version de Praline Gay-Para extraite des Contes curieux des quatre coins du monde, (2007). Sources « kalemeela ka Bwoogi, the story of a prince who was changed into a woman » in R. A. Mwombeki et G. B. Kamanzi, Folk Tales from Buhaya, Institute of Kiswahili Research, Dar es-Salaam, Tanzanie, 2001. Notes de Praline Gay Para : « Ce conte est singulier. Nous connaissons de nombreux récits où l'héroïne est déguisée en homme, d'autres où le héros se fait passer pour une femme. Dans certains contes aussi les personnages changent de sexe. Mais dans les deux cas, ils retrouvent leur identité sexuelle à la fin du conte. La transformation, ici, est définitive. Lire à ce sujet « D'un sexe à l'autre. À propos d'un conte Dogon » de Geneviève Calame-Griaule in Cahiers de littérature orale n°54, Métamorphoses, Paris, 2004, et La Fille en garçon de Catherine Velay-Valentin, Garae/Hésiode, Carcassonne, 1992. Dans la version d'origine, le personnage de la mère apparaît aux côtés de la nourrice pendant la fuite, puis il disparaît à nouveau pendant la transformation du prince en jeune femme. Elle a une place très secondaire, comme un double de la nourrice. Quand la mère est mentionnée dans le récit, on se demande d'où elle sort. J'ai choisi de l'ignorer car elle ne joue aucun rôle dans l'histoire, sa présence brouille parfois la compréhension de l'histoire. La nourrice incarne parfaitement à elle seule la fonction maternelle.

hacking_with_tales_le_prince_devenu_femme.txt · Last modified: 2015/05/23 14:22 by caro